Retour de memoire

               Rencontres Cinematographiques da la Seine-Sainte-Denis
                                                 15.-28. November 2000
                                                     Thema dieses Jahr:
                                                      Retour de
mémoire

                                                    (Text für den Katalog)

 

Der letzte Akt, G.W.Pabst, 1956

Requiem pour un ange, déchu. D'Oskar Werner (1922-1984), on se souvient encore du visage pour ses Films avec Truffaut, Fahrenheit 451 et Jules et Jim. Il fut pourtant l'un des plus grands acteurs de théàtre en Allemange après la guerre, un mythe dont la popularité fut comparable à celle d'un Gérard Philippe en France. Blessé dans son honneur d'artiste, il se retire de la scène en 1971, violemment conspué par la critique pour son dernier Hamlet, et n y revient qu'en 83 pour un Prince de Homburg qui s'avera un désastre fracassant. Il meurt un an plus tard miné par l'alcool et l'amertume. Oskar Werner est la figure maitresse qui hante l'installation La Caverne de la mèmoire du cinéaste Hans Jürgen Syberberg à partir de laquelle il a réalisé en 1997 un diptyque vidéo qui, par une audacieuse esthétique, confronte notre temps avec les signes et les traces apparemment hétéroclites d'un passé révolu et propose, une fois encore, non pas un devoir de mémoire mais un véritable Art du deuil.

- Höhle der Erinnerung. Beta SP. 1997. 60' (Version Kassel)
- Höhle der Erinnerung / Prinz von Homburg und Faust (Son). Beta SP. 1997.
  110'. (Version  Berlin)

En présence de Jean-Pierre Faye (sous réserve)

(Jacques Spohr pour le catalogue)    

Homburg I/1
     1983

Der Prinz von Homburg (sitzt mit bloßem Haupt und offener Brust
halbwachend unter einer Eiche und windet sich einen Kranz
)

Das letzte Polaroid, 1984
copyright: HJS

Entretien avec Jean-Pierre Faye suite à la Projection de "Höhle derErinnerung"  à Pantin le 24/11/2000.

J'aimerais reprendre l'hypothèse de Catherine David selon quoi ce serait non pas un film mais une installation - une installation qui est en mouvement contrairement à celle des vidéastes et peintres, des plasticiens, des créateurs d'art visuel - c'est le mouvement qui entraîne cette fois de sorte que c'est presque une désinstallation. C'est un mouvement permanent dans la caverne mais la Höhle der Erinnerung devient et cesse d'être une Hölle, un enfer et le thème dantesque évidemment passe à líarrière plan mais il est toujours chez Syberberg à mon sens puisque la trilogie debouche sur le grand film Hitler Ein Film aus Deutschland ce qui me fait penser à la Todesfuge de Paul Celan, c'est à dire der Tod, ein Meister aus Deutschland - la Mort, un Maître hors d'Allemagne, venu d'Allemagne, qui sort de l'Allemagne et Hitler n'est pas le maître de l'Allemagne, il est sorti de l'Allemagne, il a surgit ? et je vois cette sorte de coïncidence ou de palimpseste ou de rencontre entre Celan et Syberberg, je crois qui surmonte beaucoup de malentendu contemporain, je l'espère.
 Je me souviens de ce mot de Bernard Sobel qui me dit un jour au téléphone : ì il faut que tu ailles à la Pagode ? qui vient seulement de renaître avec un film chinois de Wong Kar Waï, In the Mood for Love ? et il me dit "il faut que tu ailles voir le Hitler de Syberberg. Il faut que tu voies cela car c'est un fils, comme moi-même, de Auschwitz et de Baader." En fait Sobel est plus vieux que Baader mais il est de la même génération dans la mesure où c'est la génération de l'après-guerre ? mais le père de Sobel était à Auschwitz, il est d'ailleurs revenu d'Auschwitz, il est aus Auschwitz. Mais Baader c'était la métaphore du moment puisque nous étions dans cette période de Stammheim, des années de plomb, de Trotta, de Faßbinder.
Or F. et S. c'est les deux faces opposées du temple du film allemand contemporain et même si actuellement on reparle beaucoup de F. à cause de la réapparition d'Ingrid Caven mais finalement curieusement Syberberg qui est plus ancien dans la chronologie est plus contemporain puisqu'il est là et qu'il nous envoie ce message qui est un mouvement de désinstallation et non pas une opération médiatique fêtée par les medias et les orchestrations sociales au contraire, qui est en réserve, off, off Broadway, of München.
Et c'est ça qui moi me plaît et ça me rappelle les moments où nous discutions dans le lieu de la revue oblique avec lui.
Mais pour moi c'est surtout un concerto avec des mouvements entraînant les quatre grands moments de la mémoire Syberbergienne : La Caverne de Platon, la Höhle, Le Faust, Homburg de Kleist et puis le requiem de Mozart qui est son auto-requiem et qui s'achève sur la 8e mesure du Lacrymosa mais qui est la trame la plus constante avec aussi des dessins de Beuys...

Platon ouvre le concerto parce que lui, il est le premier cinéaste. Il nous a offert cette caverne où il y a un écran et devant une projectionneuse et un projectionniste qui est Platon lui-même et qui n'est pas Harry Baer mais qui aurait pu l'être ? j'ai gardé une mémoire très bouleversée de Harry Baer lorsqu'il tient dans ses mains la poupée-Hitler, cette poupée de bois, raide, que nous avions cru bon de mettre sur la couverture de la version française de Hitler... Avec la poupée qui est cette chose figée, rigide, fixe, alors que le mouvement va lui demander pourquoi il a gâché le blé et le kitsch.
Cette histoire de loupiote qui est derrière et que Platon a mise derrière pour que les idoles défilent devant et se retrouvent sur l'écran jusqu'au moment où on se retourne pour remonter vers le soleil ? le hors-caverne ? le aus der Höhle, der Höhle qui va brûler les yeux  et dans le texte allemand c'est les yeux vraiment  pourris par le soleil, ces yeux qui sont si meurtris qu'ils se décomposent dans la lumière de la camera ardente et braquée.
C'est le 1er mouvement qui déjà nous fait passer subrepticement à ce jeu de mots entre Höhle et Hölle que je ne pouvais pas éviter car ils sont faits pour se confondre, ils sont en harmoniques l'un avec l'autre. J'y entends quelque chose qui m'est propre c'est l'inferno des versions, un livre que j'ai publié. L'inferno des versions opposées du même chant, du même évènement, comme les versions de la traversée des souterrains à Varsovie, la traversée des égouts pour les combattants du Ghetto puis la traversée un an après pour les combattants de líarmée de la résistance polonaise. Je crois que c'est cela que nous donnent ces "dernières choses" ce jugement dernier.

- L'enfer est d'autant plus présent qu'il apparaît dans l'iconographie (Memling) un film ce qui rend le rapprochement inévitable et surtout visuel.

En langue allemande les "letzte Dinge" c'est en français les "fins dernières" c'est-à-dire le Jugement dernier et ce jugement dernier pictural des grands initiateurs de la peinture à l'huile du côté de l'Europe du Nord. Je crois que c'est ça qui nous est donné dans ce message ultime c'est les Nachgelassene Fragmente au sens de Nietzsche qui sont donnés parmi nous. Et la question : Pourquoi la mémoire serait un enfer ? trouve sa réponse ici parce que nous, les enfants de l'enfer, nous sommes porteurs de la mémoire du Graal. Le Graal c'est donc ce sang qui est d'ailleurs au départ un chaudron gaélique qui devient un sang du Calvaire dans la tradition du Perceval de Chrétiens de Troyes et qui est le point de mémoire initial en langue française du récit premier. C'est  la dernière oeuvre de Chrétiens de Troyes mais c'est aussi le premier à produire des romans. Et le mot roman va passer dans les langues d'Europe. Nous sommes aussi, après, dans ce bijoux magique de Wolfram von Eschenbach et puis finalement dans le Parsifal wagnérien qui va donner à Syberberg son grand film où sa fille même est porteuse du message et de l'image. C'est la foi et en même temps une Athéna qui fait irruption dans le Parsifal.

Le 2e moment du concerto c'est le Prinz von Homburg. Le Grand Kleist qui est une figure emblématique de la tragédie allemande. C'est le plus grand, en un sens, il dépasse Goethe qui est le plus grand dans la souveraineté poétique de la langue allemande, mais au niveau de l'intensité théatrale, Kleist le traverse et pour ainsi dire sort de son écran, sort de la scène pendant que Hölderlin, lui de son côté va déchirer la langue poétique allemande dans les Hymnes. Et ces deux fils de Goethe, méconnus de lui, oubliés, négligés, poussés du revers de la main. Traités mieux je crois par Schiller, plus généreux je crois, et auteur de cette phrase, que malgré tout je vois dans l'écriture de Syberberg, "qui a conquis une femme, qu'il síajoute à notre joie " et tous ces corps féminins qui surpassent l'enfer qui émergent de la caverne soit sous forme de damnées soit sous forme de rédemption, de corps rédimés. Il nous donne ça qui est grandiose et au travail de la vie selon les dernières pages de Nietzsche et je crois que cette volonté de modelage du corps féminin vient démentir la puissance d'outrage del'inferno.

Et il y a Mozart qui arrive avec son coup de dés hasardeux plus terrible que le coup de dés Mallarméens parce que c'est un requiem où il joue sa propre mort et je crois que le fait d'en faire la toile de fond pour Kleist, pour Goethe, pour Platon et pour Werner finalement dont on voit le visage plusieurs fois, en acteur prestigieux mais aussi comme un jeune visage mort, blessé ou en tous cas couché avec ce masque très beau qui ressemble au masque d'Octave dans le marbre romain. Et l'autre séquence qui revient c'est le Werner accablé, oublié, rejeté sorti, expulsé de la scène. D'un côté il est dans le film de Pabst en mort rayonnant et de l'autre il est le reclus, l'exclu dans ce dernier polaroid dans une posture de Melencolia à la Dürer, il tient son visage comme l'archange.
Mais avec Pabst c'est le Letzte Akt qui dans les années 50 annonce les Letzte Dinge de l'an 2000 et en même temps il y a la vie, le cri du Prince : " depuis que j'ai vu ma tombe, je ne veux rien d'autre que la vie. "  C'est la volonté de vie, c'est là le grand malentendu sur Nietzsche, de faire de lui le Maestro de la volonté de pouvoir alors que Macht chez N. c'est la puissance de vie des jeunes ? die Jugend und Macht gestellt vor die Kanonen ? devant les canons des guerres, des deux guerres mondiales du prochain siècle et ça c'est folie dit Nietsche. Et :  Die Welt ist so schön, c'est le triomphe de Werner : le Werner jeune va l'emporter sur le Werner de la melencolia.
Nous avons à suivre la camera furieuse, fiévreuse aussi, mais finalement pleine de la furie du monde, braquée comme une danseuse ; c'est une danse de la caméra car elle bouge avec l'épaule et on sent qu'elle est portée comme un canon, comme un fusil, comme une kalachnikov même. Et voilà donc cette camera sans ponctuation qui traverse toute les scènes, qui tout de même marque par des virgules les passages . Il y a des virgules, peut-être des points-virgules mais pas de point. Pas de moment où on passe d'une scène à l'autre puisqu'on revient, on retourne et ça c'est le mouvement que je lis dans cet extraordinaire texte des essais de Homburg ? comme par hasard ? qui sont les essais philosophiques de Hölderlin à son retour de France, de Bordeaux dans cet état d'égarement où ses amis le voient dont Schiller qui est effrayé par le délabrement de son costume et sa négligence ? lui qui était un étudiant élégant auparavant. Ce texte qui s'appelle die Verweise des Poetischen Geists n'a pas de points sur 3 pages de l'édition allemande. C'est une sorte de marée, une marine, une marée qui bouge qui revient, qui devient haute ou basse et qui passe entre le change de forme et le change matériel de l'étoffe (die Wechsel der Form et die materialwechsel des Stoffes) expression très étrange quíon retrouve littéralement dans un curieux passage du 1er chapitre du Capital de Marx et le Formwechsel et le stoffwechsel sont aussi en rapport, curieusement antipodiques, mais très étrangement c'est Marx qui parle le plus du changement de forme comme produisant le changement derrière  et c'est Hölderlin qui insiste le plus sur le change matériel qui arrache la pierre de la montagne du Pratélie pour lui donner la forme de l'acropole, du Parthénon et faire d'Athène non pas la ville de bois que les Perse ont brûlé mais la ville de marbre.
Cette Verweise, cette démarche, sans point mais marqué du chant des virgules des renversements de la syntaxe qui revient cherche tout le temps le point d'arrachement, une sortie du bloc informe de ce que Kant appelait l'objet informe ... (28'34'')